Depuis presque 30 ans, Bernard Moïse a une activité riche et éclectique. Curieux et généreux, passionné et exigeant, il s’investit toujours avec autant d’énergie et d’envie dans tous les projets qu’il entreprend. Porteur d’une expertise reconnue dans le domaine du design et de l’architecture intérieure, il vit le design comme une aventure tous les jours renouvelée.

il partage aujourd’hui son temps, entre Paris, Marseille et Shanghai.

 

 

 

MOISE B. OU L’ANGOISSE DU DESIGNER À L’ÉRE DE LA DÉJECTION POSTINDUSTRIELLE

Par Jean-Charles Agboton-Jumeau – Critique d’art

 

0.0 Moïse B. dévoile pour la première fois d’obscurs objets du désir élaborés dans l’ombre de son atelier pendant une dizaine d’années. Parmi les quelques deux cent pièces à ce jour réalisées, ce designer par ailleurs connu et reconnu, a choisi d’exposer une quarantaine d’objets industriels et d’usage courant à l’occasion du Designer’s Day 2013.

0.1 Ces ready-made associent toujours au moins deux objets dont émane une tierce dimension, soit un sens plus ou moins visuel ou verbal, c’est-à-dire verbivisuel ou si l’on préfère livisible. On songe dès lors au Surréalisme en général et à cette déclaration de Breton en particulier : « C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes [que] jaillit une lumière particulière, lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. »

1.0 Natures mortes industrielles. Le titre de l’exposition l’annonce lui-même : les oeuvres sont fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs que sont ici d’une part, l’objet industriel et de l’autre, une certaine peinture de genre. Mais c’est ici du rapprochement délibéré de deux objets à connotations en majorité infantiles, domestiques et/ou alimentaires que Moïse B. fait jaillir la tierce question qu’en son temps, un Duchamp s’était posée à propos de l’art en élaborant entre autre ce qu’il a nommé Objet dard : qu’en est-il du rapport de l’art à l’objet d’art ?

1.1 C’est en tant que designer que Moïse B. quant à lui, se demande à son tour : qu’en est-il donc du rapport de l’objet industriel au design actuel ? Réponse : l’objet industriel serait mort, comme le sous-entend le titre de l’exposition. Plus précisément, les objets qu’il assortit appartiennent déjà à un autre âge : à l’ère postindustrielle qui est la nôtre, ils seraient en voie d’extinction. Aussi songe-t-il la traduction anglaise dudit titre : Industrial Still Life. Si l’objet industriel n’est pas encore tout à fait mort, il n’en demeure pas moins que nous assistons à son agonie : du moins survivrait-il à l’époque qui l’a vu naître. Du rapport de l’objet industriel au design ou du rapprochement formel, chromatique ou sémantique des objets qu’il chine, collectionne et apparie depuis une dizaine d’années, résulte alors une certaine archéologie. Anticipant la disparition de l’objet industriel, Moïse B. veut paradoxalement en précipiter la conservation ou la survivance. Converti en archéologue, le designer tente alors par approximations et/ou rapprochements verbivisuels successifs, moins de reconstituer le sens passé de ses objets que d’en conjecturer ou deviner la sémantique ou le sens actuel voire futur.

1.2 À la question qu’en est-il donc du rapport de l’objet industriel au design ?, cette archéologie du présent – d’un présent par définition volatile – répond donc : qu’en est il du rapport du designer à l’objet prédesigné et/ou du design tout court à l’ère du post-design ?

2.0 Autrement dit, qu’est-ce qu’un objet à l’ère du post-design ? C’est un téléphone portable par exemple. Pourquoi n’est-ce plus tout à fait déjà un objet industriel ? N’étant plus qu’un support (ou un relai) d’information, de consommation ou de communication technologiques (publicité), il est de facto dépourvu de l’autonomie relative (fonctionnelle autant qu’esthétique) d’un verre par exemple. À l’instar d’un gobelet en plastique, il est, dès sa fabrication, programmé pour finir dans quelque poubelle. De sorte que, dès sa conception, il est déchu. C’est d’emblée un déchet. Mieux : une déjection. Du latin dejectio, « action de jeter dehors ». Comme tel, ce n’est plus dès lors un objet mais bien à proprement parler, un déject (comme on dit par ailleurs d’une chose qu’elle est abjecte). Car là où un verre se brise par exemple, perdant ainsi son statut d’objet, un gobelet ne se rompt ni ne se détériore : il se jette ou mieux, se déjecte. C’est exactement ce qu’on appelle de nos jours un consommable : un produit nécessaire à la production de biens ou de services mais qui n’entre pas dans la composition du produit fini.

3.0 Si Marcel Duchamp entre autre, a inauguré l’ère de l’art au second degré – non pas l’art pour l’art mais l’art de l’art –, Moïse B. ouvrirait donc par ses Natures mortes industrielles l’époque d’un design au carré (comme l’illustrent par excellence ses bouteilles en plastique autant qu’en verre par exemple, autrement dit, ces choses qui ne sont en définitive, ni objet ni déject)

© Jean-Charles Agboton-Jumeau

 


Moïse B. NOUS REGARDE … OU QUAND LES OBJETS ONT UNE ÂME

Par Michel Taube – Fondateur, rédacteur en chef d’Opinion Internationale


Bienvenue dans le monde de Moïse B. qui, depuis près d’un an, éclaire l’actualité à la Une d’Opinion Internationale. Un regard parfois cinglant, jamais méchant, toujours lucide.

La caricature est à l’honneur depuis qu’ils ont voulu tuer Charlie. Le dessin, l’illustration de presse, le crayon font édito aujourd’hui et c’est le meilleur hommage qui pouvait être rendu à l’équipe endeuillée de Charlie Hebdo.

Dans cette déferlante salutaire de millions de dessins qui en disent souvent plus voire mieux que de longs discours – pour reprendre la formule consacrée, un dessinateur, un designer, un artiste détonne par son approche : Moïse B.

Sa force est d’alterner des créations qui certaines délivrent directement un message signifiant (les œuvres que lui inspire la mobilisation « Nous sommes Charlie » en témoignent) mais pour beaucoup, pour la plupart, ses créations sont beaucoup plus allusives et laissent au lecteur la liberté d’aller chercher lui-même le sens de l’actualité que nous suggère parfois en creux l’auteur. La force de Moïse B. est de nous laisser libre face au dessin, face à l’œuvre ! MoïseB réinvente le dadaïsme avec un regard qui puise son inspiration dans le mouvement abstrait et subversif des Surréalistes.

Moïse B. est différent aussi par son style et son écriture car, contrairement aux apparences, sa plume n’est pas un crayon ! Moïse B. ne dessine pas et pourtant, il est dessinateur. Moïse B. ne construit pas une image sur photoshop comme un graphiste. Moïse B. construit des œuvres d’art à partir des objets du quotidien. Sa matière, comme le sculpteur face à son bloc de granit, c’est un objet de consommation, un objet qui remplit notre vie de consommateurs, de citoyens. Cet objet, MoïseB le détourne, le déconstruit et le reconstruit dans un univers qui est l’actualité et il en tire une œuvre d’art qui lui donne une nouvelle vie. Un miracle de l’imagination et de la création.

L’atelier de l’artiste mériterait d’être visité mais l’essentiel est devant nous. Bienvenue dans le monde de Moïse B. !

Michel Taube – Fondateur, rédacteur en chef d’Opinion Internationale

https://www.opinion-internationale.com/le-regard-de-moiseb